Interprétation simultanée à distance : le métier d’interprète en mutation

Übersetzungsbüro Wien | Interprétation simultanée à distance : le métier d’interprète en mutation

Interprétation simultanée à distance : le métier d’interprète en mutation

Publié dans la catégorie le 02/02/2021

Construire des passerelles, créer des rapprochements et réduire les distances : tels sont les termes que les interprètes utiliseraient en substance pour expliquer leur métier.

Mais, que faire, lorsque tout à coup les ponts et passerelles sont coupés, que la proximité devient une menace et que seuls le confinement et la distance sociale protègent ?

Ce qui aurait ressemblé à une dystopie au début de l’année 2020 est devenu la réalité des interprètes : la cause en est la pandémie de SRAS-COV-2 (COVID-19). En raison des mesures interdisant les rassemblements physiques de personnes et, consécutivement, de l’annulation de la quasi-totalité des événements de la vie économique et institutionnelle, les interprètes de conférence indépendants (freelance) ont fait face à un arrêt total de leurs activités.

Si un traducteur peut travailler à domicile et à distance, l’interprète doit quant à lui être présent physiquement et interagir (quel que soit le type d’interprétation pratiqué).Très polyvalents, les interprètes tiennent aussi compte des signaux non verbaux du locuteur (mimiques, gestuelles et échanges de regard), ainsi que les réactions du public, qu’ils interprètent. Les échanges entre interprètes tiennent également une place importante. Les interprètes de conférence en particulier apprécient le contact direct avec les clients qui leur permet de construire une relation à long terme.

Or, les missions en présentiel et les interactions sont actuellement impossibles, et semblent même appartenir à une époque révolue. Si, dans certains domaines de l’économie, l’activité reprend lentement (réjouissons-nous-en !), le monde de l’interprétation reste en veilleuse. Il suffit de penser aux restrictions de voyage à l’échelle européenne, aux règles de quarantaine et aux dimensions d’une cabine d’interprète de conférence (8m2 pour trois personnes), lesquelles rendent impossible le déroulement normal d’une conférence, sans parler des risques sanitaires encourus par les grands rassemblements.

Les interprètes en veilleuse

L’état d’urgence, qui a commencé au mois de mars 2020, a des conséquences de plus en plus perceptibles chez les prestataires de services linguistiques et surtout, chez les interprètes.

Et les interprètes de conférence, particulièrement touchés par les restrictions consécutives à la lutte contre la propagation de la pandémie, constituent la majorité des interprètes.

Dans une étude récente conduite par l’Association professionnelle autrichienne des traducteurs et interprètes (Universitas Austria), 63 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été « gravement » ou « très gravement » affectées par les mesures prises contre la propagation de la pandémie de Covid-19.

Les principales raisons invoquées sont la diminution notable des missions en présentiel ou leur annulation totale. Et, à la question de savoir combien de temps subsister sans assistance, au cas où la situation resterait inchangée, un tiers des personnes interrogées a choisi l’option « deux à quatre mois ». L’été étant un temps mort pour la profession, les interprètes resteront fragilisés. Donc, 35 % des personnes interrogées se déclarent « plutôt pessimistes », voire « pessimistes » quant à leur avenir (Universitas Austria 2020).

De nouveaux horizons – l’interprétation à distance

Malgré l’annulation des conférences internationales multilingues nécessitant des interprètes en présentiel, ceux-ci ne se sont pas pour autant résignés à leur sort. Ils ont travaillé d’arrache-pied à exploiter des solutions qui étaient déjà au centre de préoccupations et de discussions bien avant que ne survienne la pandémie de COVID-19 et dont l’essor a été considérablement développé par ladite pandémie : l’interprétation simultanée à distance (ISD) ou remote interpreting (RI). L’interprétation simultanée à distance est adaptée aux configurations les plus diverses. Toutes ont cependant un dénominateur commun : l’absence physique de participants à l’événement, mais leur présence par écran interposé, par le biais d’applications, systèmes et plateformes de visio-audio-téléconférence destinés à l’interprétation simultanée à distance (Interpreting Delivery Platforms, ou IDP).

Si certains ou la totalité des participants ne peuvent ou ne veulent pas être sur le lieu de l’événement, ils n’en ont pas moins la possibilité d’y assister et de bénéficier de services d’interprétation simultanée. Les interprètes de conférence n’ont pas besoin d’effectuer leur mission en présentiel : ils peuvent travailler hors site, à partir de leur domicile ou en studio (un espace physique centralisé, avec une mise en place classique). Ce qui, à première vue, semble être une solution optimale comporte cependant quelques obstacles dont certains ne sont pas à négliger (cf. CBTI/BKV, 2020) :

  • Obstacles techniques : l’interprétation simultanée à distance ne nécessite pas seulement des logiciels, plateformes de visio-audio-téléconférence et équipements informatiques, mais aussi une connexion haut débit stable performante pour transférer d’importants volumes de données pendant plusieurs heures. Si l’image et le son n’ont pas la qualité requise ou subissent des interruptions à intervalle régulier, les interprètes ne peuvent assurer leur mission correctement. Quiconque ayant été en contact avec sa famille et ses amis via Skype, Zoom ou d’autres plateformes de visio-audio-téléconférence similaires au cours de ces derniers mois sait que de telles défaillances sont possibles.

  • Les conditions de travail : en général, les interprètes de conférence assurent leur mission par deux, voire par trois. Dans le cas de l’interprétation à distance, il est difficile de concevoir que plusieurs interprètes puissent virtuellement participer à la même conférence, s’entraider, collaborer et se relayer : il suffit de penser à la prise de note des chiffres ou la recherche de vocabulaire par le(s) collègue(s) interprète(s) ou encore aux brèves discussions de contenu lors des pauses entre les interventions. Les interprètes qui ont expérimenté l’interprétation simultanée à distance au cours de ces derniers mois signalent aussi que ce type d’interprétation est beaucoup plus fastidieuse que l’interprétation en présentiel habituelle, en partie à cause de la qualité de l’image et du son. L’interprétation simultanée à distance ne peut donc être pratiquée au-delà de deux heures (même en binôme). Il est par conséquent impossible d’assurer une mission pendant toute une journée, comme c’est la pratique dans les institutions européennes.

  • Responsabilité : en général, lors de conférences, on sait qui est responsable des erreurs et déficiences ; ce n’est pas le cas pour l’interprétation simultanée à distance. Qui sera tenu responsable, par exemple, des dysfonctionnements du son et de l’image qui entravent la mission de l’interprète ?

  • Protection des données : la question de la protection des données et de la confidentialité se pose notamment lors de discussions confidentielles ou de réunions tenues à huis clos. Les contenus aussi confidentiels que ceux exposés et interprétés au Conseil de l’UE, par exemple, ne peuvent ni ne doivent être piratés.

  • Tarifs : les clients tentent souvent de réduire les tarifs des interprètes sous prétexte qu’ils n’effectuent plus leurs missions en présentiel.

Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que l’interprétation simultanée à distance dotée d’une logistique matérielle appropriée présente des avantages. Les longs trajets ne sont pas nécessaires, ce qui a un effet positif tant sur les dépenses engagées et le budget que sur l’environnement. L’interprétation à distance permet également aux interprètes vivant dans des régions plus éloignées et pratiquant des langues rares, de pénétrer des marchés qui leur resteraient fermés.

COVID-19 ... et après ?

Le SRAS-COV-2 (COVID-19) sans aucun doute nous accompagnera pendant encore longtemps : un retour à la normalité n’est pas pour bientôt. Par conséquent, le monde de l’interprétation ne peut ignorer l’interprétation à distance à l’ère de COVID-19 (et, selon toute probabilité, au-delà).

Alors, essayons de voir la pandémie comme une opportunité. Et, au lieu de nous voiler la face, autant que possible participer activement aux développements en cours afin de créer un environnement d’interprétation à distance qui réponde aux besoins des interprètes professionnels.

Sources : Auswirkungen von COVID-19 auf ÜbersetzerInnen und DolmetscherInnen. Universitas Austria, 2020. Interprétation Simultanée à Distance. CBTI/BKV Chambre belge des traducteurs et interprètes/ Belgian Chamber of Translators and Interpreters), Commission Sectorielle « Interprètes », 2020.